Paroles d'experts : Danielle Leclercq répond à nos questions
Professeur d'histoire à la retraite, Danielle Leclercq est formatrice en histoire au Centre d’auto-formation et de formation continuée de la Communauté française. Co-auteur de manuels d’histoire pour l’enseignement secondaire ("En quête d'histoire", éditions De Boeck) et pour l'école fondamentale (“La vie des hommes et des femmes, de la préhistoire à nos jours”, éditions Averbode), elle est également formatrice en didactique de l’histoire pour le Conseil de l’Europe.

Dans les faits, l’histoire semble le parent pauvre de l’école fondamentale : les enseignants y consacrent peu de temps et semblent plutôt mal à l’aise face à l’enseignement de cette discipline
. A votre avis, comment peut-on expliquer cette situation ?
Je pense que cela est dû à la formation (initiale et continuée). Pour bien enseigner l’Histoire, il faut d’abord l’aimer et la connaître. Et cela demande beaucoup de lectures et de réflexion personnelle. Ensuite, il faut avoir beaucoup réfléchi et discuté en groupe : quelle histoire enseigner ? dans quel but ? comment ? Les enseignants ont souvent une représentation de l’Histoire liée à leur passé d’élève ; de plus, cette représentation est influencée par des souvenirs, par des lectures non scolaires (Astérix !), par des médias… Pour combien d’entre eux, l’Histoire n’est-elle pas confondue avec la mémoire (bien que celle-ci soit importante, mais c’est autre chose) ? avec le passé (qui peut dire comment les choses se sont réellement passées ?) ? avec un récit ? (on raconte des histoires… Sont-ils sortis de leur formation initiale avec l’idée que l’Histoire est une d’abord une enquête, une investigation, ensuite une reconstruction du passé à partir de traces ? Et que cette reconstruction est sans cesse remise en question par de nouvelles découvertes, de nouvelles approches, par la confrontation de points de vue ? Faute d’avoir intégré ce concept, ils ont bien du mal à créer des activités de recherche, de confrontation, de critique… pour leur élèves. La recherche historique est aujourd’hui bien éloignée de l’histoire politique et événementielle qui faisait l’objet des anciens manuels ; mais, qui leur a donné le goût de découvrir les nouveaux champs d’investigation ?

L’histoire est étrangère aux enfants : elle ne fait pas vraiment partie de leur univers proche ; c’est une donnée culturelle à construire, le plus souvent abstraite. Comment justifier, à leurs yeux, la nécessité et l’intérêt d’apprendre le passé ?

Mon expérience m’a appris, au contraire, que les élèves sont souvent passionnés à partir du moment où on pose de vraies questions (qui sommes-nous ? d’où venons-nous ?...) à partir d’éléments concrets. Travailler sur le patrimoine proche, les mettre en situation d’enquêteurs…a toujours donné de bons résultats. Je pourrais donner des tas d’exemples concrets, si l’occasion m’en est donnée. De plus, le concept proposé par les socles de compétence (le mode de vie) est riche de possibilités et d’intérêt pour les élèves.

Selon vous, quels sont les savoirs historiques minima que tout enfant devrait maîtriser en quittant l’école fondamentale ?
Il devrait d’abord avoir acquis des savoir faire : lire (et non pas construire) une ligne du temps, une carte historique, un schéma… et surtout être capable de décoder des images fixes (tableaux, caricatures, photos, ….) et animées (docu-fictions, …). Il devrait avoir appris à interroger (des textes, des images, des témoins) et à se poser des questions.
Il devrait être capable d’observer (un paysage, un monument, un objet dans un musée, …), de comparer, etc… bref de développer son esprit critique
[ pourquoi me dit-on que le château de Bouillon est celui de Godefroid alors que ce château n’existait pas à l’époque ? qu’est-ce qui permet à l’historien ou à l’archéologue de me dire que tel objet date de telle époque et à servi à telle chose ? etc…]
Mais, surtout il devrait déjà pouvoir mener une recherche en autonomie (dans son manuel, dans un outil de référence…) et chaque fois que cela est possible, sur le terrain ; il devrait pouvoir présenter le résultat de sa recherche (en élaborant une affiche par exemple contenant un titre, des images, des légendes explicatives).

Aborder l’histoire à l’école primaire, cela ne devrait-il pas se faire principalement par le biais de l’histoire locale, plus proche et plus accessible ?
Absolument. Toutes les démarches proposées n’auront de sens que si l’élève est impliqué… Mais, en même temps, il ne faut pas négliger l’ouverture sur d’autres cultures… Cela peut se faire par le biais de la comparaison (je me rappelle l’étonnement d’une élève devant un four à pain gallo-romain ; elle nous montra ensuite une photo de celui de son village marocain et cela a permis une discussion sur les besoins fondamentaux, la manière d’y répondre, les similitudes et les différences, etc…).

La ligne du temps (ou frise historique) semble l’outil incontournable pour enseigner l’histoire. Qu’en pensez-vous ?
Évidemment, mais à condition de la rendre concrète (y placer des images plutôt que des textes, par exemple) et de la faire travailler par les élèves eux-mêmes. Y revenir sans cesse (et non pas une fois en début d’année scolaire…).
Par exemple, si les élèves travaillent en sous-groupes ou si on aborde certains aspects dans le désordre (chronologique), s’en servir pour structurer, remettre les choses dans l’ordre, faire apparaître les causes et les conséquences, les simultanéités, etc…
Mais aussi , faire réfléchir : la statue d’Ambiorix élevée au XIXe siècle sur la place de Tongres doit-elle être située à l’époque de César ou au XIXe siècle ?

C’est aussi bien nécessaire lors d’une sortie au musée, dans un archéosite (comme Aubechies), etc… où les éléments ne sont pas nécessairement présentés dans l’ordre chronologique.

Contrairement aux domaines de l’éveil scientifique ou géographique, où l’on a davantage matière à expérimenter avec les élèves, les leçons d’histoire se basent le plus souvent sur des lectures de textes. Finalement, les difficultés rencontrées par les élèves en histoire ne seraient-elles pas d’abord des difficultés en lecture ?
Évidemment. Mais, pourquoi se baser sur des textes uniquement ? A mon sens, ils doivent être introduits progressivement au fur et à mesure que les élèves grandissent. Il s’agit aussi de privilégier les textes narratifs, plus abordables).
Et ne pas oublier que la majorité des textes d’époque sont écrits dans une autre langue que le français (ou dans un ancien français), qu’il faut en moderniser les traductions pour les rendre accessibles.
Un exemple : les textes concernant l’histoire romaine et médiévale sont écrits en latin ; ils ont été traduits par des érudits au XIXe siècle ou au début du XXe et par conséquents rédigés dans un langage qui n’est plus guère parlé aujourd’hui, même par les adultes.

Que pensez-vous des manuels en histoire ? Sont-ils de bons outils ? A quelle(s) condition(s) ?
Les manuels sont des outils indispensables aux instituteurs(trices), car ils n’ont pas le temps de construire entièrement un cours d’histoire, MAIS encore faut-il trouver un manuel dans lequel on puisse trouver :
- des documents à interroger, analyser, comparer, …
- des textes informatifs qui permettent de les resituer dans le contexte historique,
- des problématiques (et non pas un savoir présenté comme définitif),
- un lexique (éventuellement) adapté à l’âge des élèves,
- des contenus appropriés (cfr point 1) : pas d’histoire événementielle et nationaliste !
- des exercices ou questions pour faire critiquer, réfléchir, …

Les manuels ne sont que des outils ; ils ne dispensent pas l’enseignant de réfléchir à ce qu’il veut aborder, comment et surtout pour quoi (dans quel but ?).
Il faudra aussi que le plus souvent possible, il exploite des éléments du patrimoine proche, voire qu’il remplace un chapitre par une leçon construite. Un manuel, ce n’est pas une Bible !

Selon vous, peut-on dégager une progression logique dans l’enseignement de l’histoire à l’école fondamentale ? Si oui, cette progression doit-elle être chronologique (en abordant, par exemple, les périodes historiques les unes à la suite des autres dans l’ordre) ?
Je crois beaucoup à l’enseignement « en spirale » : on place un cadre, on y situe quelques éléments caractéristiques et CONCRETS (par exemple un habitat à différentes époques) et on y revient ensuite pour l’enrichir par de nouveaux éléments.
Le cadre chronologique est de fait la base du cours, mais cela ne signifie nullement que l’on doit nécessairement partir du plus ancien au plus récent ; on peut très bien remonter le temps. Il est nécessaire d’aller sans cesse du présent au passé et du passé au présent, de montrer à la fois des pérennités (les outils n’ont guère varié depuis le néolithique jusqu’à la Révolution industrielle) et des ruptures.

Beaucoup d’auteurs évoquent la dimension « citoyenne » de l’enseignement de l’histoire. Quels sont les savoirs historiques nécessaires au citoyen ?
Cette intention n’est-elle pas trop ambitieuse pour des enfants de l’école fondamentale ? Sont-ils suffisamment mûrs pour développer un esprit critique dans le domaine de l’histoire ?
Les savoirs historiques nécessaires sont ceux qui permettent de « décoder », de « comprendre » ; il n’y a pas d’âge pour commencer à développer l’esprit critique.
Apprendre à observer, à comparer, à distinguer ce qu’on voit et ce qu’on interprète (je vois… je crois que c’est…), ce qu’on lit et ce qu’on déduit, à distinguer un document original et un document reconstitué, une fiction et un travail scientifique, un témoin et un spécialiste… toutes ces démarches sont à la base de la construction de l’esprit critique, à condition que l’élève les pratique en autonomie et non pas sous la conduite de l’enseignant.
Exemple tout simple : j’ai commencé à leur montrer des objets ou des iconographies photographiés dans les musées ; puis je leur demandais d’en rédiger l’étiquette. Ensuite, seulement, je leur donnais celle du musée et nous confrontions leur hypothèse et celle du conservateur. La pertinence de leurs hypothèses était étonnante. Et à partir de ce moment, ils n’ont plus cessé de se poser des questions et d’en poser : qu’est-ce qui vous permet de dire cela ? en êtes-vous sûr ? si non, pourquoi ne pas mettre un point d’interrogation ? etc…

Qu’est-ce qu’être un « bon professeur d’histoire » ? Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil aux enseignants maternels et primaires, que leur proposeriez-vous ?
J’ai envie de dire qu’il doit avant tout être passionné, non par l’histoire, mais par l’enseignement de l’histoire. Enseigner l’histoire, c’est apprendre à apprendre, vouloir former autant que d’informer, organiser la confrontation des points de vue (base du débat démocratique), faire faire… pour faire réfléchir. C’est être créatif, capable d’imaginer des situations d’apprentissage « impliquantes », motivantes, qui suscitent chez l’élève la curiosité et l’envie d’en savoir plus en mettant en œuvre les démarches apprises. C’est aussi faire flèche de tout bois, utiliser tel BD ou tel docu-fiction, telle info dont parlent les médias pour travailler sur le connu et l’inconnu, le vraisemblable et la pure fiction… Un seul conseil ? difficile… je dirais être persuadé que les élèves sont capables de faire beaucoup de choses, beaucoup plus qu’on le croit, les aider à progressivement se débrouiller tout seuls.

Danielle Leclercq,
Le 05/10/2009